07 décembre 2010

Ce qu'on ne vous dit pas sur la maternité

À mon premier rendez-vous de suivi de grossesse, alors que je n'avais qu'une seule et unique envie/besoin/intérêt : entendre le coeur de mon bébé, la secrétaire de l'endroit m'a remis une grosse brique de 738 pages à lire intitulée Mieux-vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans.

Publié par l'Institut national de la santé publique du Québec, ce livre parle de tout tout tout. Tout ce qu'il faut savoir pour devenir un as dans le domaine de la maternité. Qui nous permettra de récolter la médaille d'or aux Olympiques de la connaissance de la vie familiale. Qui fera de nous une candidate hors pair à Tous pour un portant sur l'installation d'un siège d'auto et l'introduction des aliments solides chez les bébés de six mois.

Ainsi, par exemple, on apprend au fil des pages enfilées qu'une femme au poids santé peut s'attendre à prendre entre 25 à 35 livres pendant sa grossesse et que le lait maternel contient une grande quantité d'oméga-3. On apprendra à détecter si notre poupon combat une roséole ou si c'est normal qu'il soit incapable de dire les sons «r» et «l» avant deux ans et demi.

Vraiment, c'est une super brique. Qui me sert tout le temps. Elle me suit de la chambre de Sam-Sam à la salle de jeux. J'ai un doute sur la nécessité de donner de la vitamine D à ma poulette? J'ai la réponse à la page 462 du manuel. Je me demande si ma poulette a des coliques, je me rends à la page 227. Je me questionne sur le fait que ma nouvelle-née n'a toujours pas de larmes? Ma réponse se retrouve à la page 169.


Mais comme rien n'est parfait en ce bas monde, le Mieux-vivre a ses faiblesses. Je cite ce bouquin, mais c'est pareil dans tout ce qui traite de maternité. On jase sans problème de trucs liés à notre nouveau rôle de maman, mais on en oublie une bonne quantité. Des d'informations pourtant vitales à notre santé mentale.

Par exemple, on y claironne partout que c'est primordial de prendre soin de notre couple lorsqu'une troisième personne se joint à notre duo. Qu'il faut communiquer parce que «l'arrivée d'un bébé apporte des changements qui nécessitent une adaptation de la part des deux parents» (p. 202). Mais ce n'est mentionné nulle part que de déchirer au troisième degré peut apporter son lot d'inconvénients pour le couple. Que de donner la vie à un poupon engendre un flot d'émotions qui peuvent ne pas être de la joie et du bonheur. Que l'on peut être très triste face à un accouchement qui a mal tourné et qui a laissé des traces tant physiques que psychologiques.

Quand il est question d'agrandir la famille, tous parlent de l'importance de bien préparer la soeur ou le frère aîné à son nouveau rôle afin d'éviter le retour au lit mouillé ou à la rechute de la suce (p.204). Mais qui pense à avertir la mère que ce sera elle qui vivra le plus difficilement cette étape? Personne. Personne ne pense à nous dire toute la culpabilité qui nous tombera dessus quand on se rendra compte que l'on ne peut plus autant s'occuper du #1 qu'avant.

On nous donne 1001 conseils pour éviter que notre bébé ait une tête plate (p.251), pour qu'il s'intéresse à la lecture (p.262) ou pour l'aider dans l'apprentissage de la parole (p.265), mais pas un chapitre, pas une page, pas même une petite phrase sur le sentiment de dépassement d'une maman qui n'est plus capable d'endurer son bébé qui pleure depuis trop longtemps et qui n'a qu'une seule envie : «taper» sa bouche avec du Duct Tape pour ne plus l'entendre.

La maternité peut être merveilleuse. Elle nous fait découvrir le meilleur de nous-mêmes.

Mais maudit que ça peut tellement être de la merde aussi.

Mon père est plus fort que le tien

Je n'apprendrais rien à personne ce matin, mais mon père est plus fort que le vôtre.

Il pourrait réduire en poussière n'importe qui qu'avec une petite «pichenotte» de rien du tout. Il a une culture phénoménale qui pourrait jeter n'importe quel concurrent à Tous pour un au tapis. Pis les Jamie Oliver, Ricardo, Jean Soulard de ce monde seraient verts de jalousie de le voir aller devant un fourneau.

Voilà, c'est dit. Na na na nèreeee!

Paraît, toutefois, que ce discours enfantin ne se retrouve pas uniquement que dans les cours d'école entre deux sauts à la corde et une partie de ballon prisonnier. Avec le temps, au fil des calendriers qui passent, ce genre d'affirmations reste encore très présent dans les conversations des grandes personnes.


C'est juste que le héros de notre argumentaire est légèrement moins âgé que lorsque nous apprenions à multiplier 8 par 6.

«Hein? Ton fils ne se tourne pas encore du dos au ventre? C'est parce que le mien a commencé à faire ça il avait trois mois pile.»

«Tu as vu? Ma fille est capable de s'asseoir seule et elle n'a même pas cinq mois!»

«Moi, mon bébé marche à quatre pattes depuis qu'il a six mois, peut-être que tu ne stimules pas assez le tien?»

«Tu devrais entendre ma petite pie jacasser. Hé! Elle va fêter son premier anniversaire bientôt et déjà elle connaît plein de mots!»

«As-tu pensé à consulter? Il me semble que ce n'est pas normal que ta poulette ne marche pas encore. La mienne marchait à cet âge.»

Bla bla bla.

Fatiguant pareil, ce jeu des comparaisons. Déprimant même.

Bien voulez-vous m'expliquer pourquoi j'embarque là-dans tête première, cibole?

Chaque fois que je me retrouve en présence de petites personnes à couches, je cherche constamment à valider que ma fille est la meilleure. La plus avancée. La plus éveillée de toute la gang.

Ma Sam-Sam pète la courbe de croissance en termes de grandeur (ouin pis?). Ma Sam-Sam se vire du dos au ventre depuis qu'elle a trois mois (on lui décerne une médaille?). Ma Sam-Sam n'a jamais voulu de suce (oh! bonjour l'exploit!). Ma Sam-Sam ne se réveille qu'une fois dans la nuit (bien tant mieux pour toi!).

C'est assez ridicule quand on y pense. Que ma poulette soit capable de s'asseoir à cinq, six ou sept mois, on s'en balance. Il est fort à parier que lorsqu'elle montrera dans un autobus jaune, elle sera capable de mettre ses fesses sur une chaise sans pour autant se retrouver le nez sur le bois franc. Que si elle décide de finalement faire ses nuits complètes un jour, elle va de toute façon, arrêter de les faire quand l'adolescence se pointera.

Mais pourquoi, merde, embarquons-nous systématiquement dans cette compétition totalement inutile? Qui cherchons-nous à impressionner de la sorte? Parce qu'à ma connaissance, le 100 mètres quatre pattes ne sera pas à l'horaire de Londres 2012. Le saut en hauteur au Jolly Jumper n'a toujours pas son association sportive officielle. Et que le «fracassage» de courbe de croissance ne sera jamais homologué dans le livre des Records Guiness.

Et si c'était nous, les mamans et les papas, que nous cherchons à glorifier. Une façon détournée de se dire qu'on fait un bon boulot. De se donner une tape dans le dos. Parce qu'elles sont tellement rares les félicitations destinées à nous rassurer sur notre manière d'éduquer nos rejetons.

La prochaine fois qu'une maman vantera les mérites de son poulet, ne le prenez pas personnel, parce que vous saurez que c'est elle-même qu'elle félicite.

Tirer sur les oreilles

Maxim venait à peine d'être poussée à la vie que déjà j'avais hâte que son premier sourire se dessine sur son visage. Quand ce fut une affaire réglée, je n'avais qu'une envie : entendre mon bébé rire aux éclats. Ce jour est arrivé quelque part à l'automne 1998.

Mon excitation devant ses éclats de rire n'a duré que quelques jours. Rapidement, j'ai commencé à penser au jour où ma puce serait capable de s'asseoir seule. Puis à celui où elle lèverait ses petites fesses du sol pour la voir enfin se lancer dans la marche à quatre pattes. Et à deux pattes.

J'avais donc hâte qu'elle ait enfin quatre mois pour lui fourrer une cuillère de céréales dans la bouche. J'avais donc hâte qu'enfin elle passe au stade des purées de carottes et d'abricots. J'avais donc hâte qu'elle avale des ti-mottons. J'avais donc hâte qu'elle mange enfin comme nous des hamburgers fromage-bacon ou du chic tartare de boeuf à la moutarde de Dijon.

Je ne comprenais pas pourquoi elle ne tenait pas encore une conversation avec moi quand elle a soufflé sa première bougie. Qu'elle doive encore porter des Pampers quand on lui a chanté bonne fête pour la deuxième fois. Qu'elle ne sache pas peinturer à la gouache sans en renverser tout partout autour de son carton quand on a célébré son troisième anniversaire. Qu'à ses quatre ans, elle était toujours incapable d'attacher ses souliers seule. Et qu'il arrivait qu'elle oublie des lettres quand elle écrivait son nom de famille quand on a fêté son quinquennat.


J'avais tellement hâte qu'elle soit plus autonome. Qu'elle ne requière plus mon attention 24 heures pas jour. Qu'elle soit capable de respirer sans que je sois dans un périmètre de 15 mètres carré.

Dès que j'avais une chance, je la déposais par terre. Dès que je le pouvais, je l'incitais à jouer seule. Dès que mes tâches obligatoires de maman - allaitement-changements-de-couche-bain - étaient terminées, je la mettais dans sa balançoire, dans son parc, dans sa soucoupe, dans son Jolly Jumper. Partout sauf dans mes bras.

Mon père dit souvent que j'ai tiré sur les oreilles de ma plus vieille pour qu'elle grandisse plus vite. Pas question de l'obstiner là-dessus. Il a totalement raison. J'étais incapable de savourer le moment présent avec mon aînée. De profiter d'elle telle qu'elle était. Je pensais sans cesse à la prochaine étape de son développement psychomoteur prévue dans le Mieux-Vivre 1998.

C'est triste quand on y pense. Comme si je n'étais jamais satisfaite des progrès de ma poulette. Comme si je ne pouvais pas accepter mon enfant telle qu'elle était. Comme si elle n'en faisait jamais assez pour satisfaire la mère hyper exigeante que j'étais.

Ce n'est pas que je n'aimais pas passer du temps avec ma puce. Qu'elle m'emmerdait. Ou que je regrettais d'être devenue mère. Non, non ce n'était pas ça. J'aimais mon bébé plus que tout. Je voulais juste qu'elle soit toujours plus grande. Toujours meilleure.

Pathétique pareil.

Tellement pathétique.

Totalement pathétique.

Pathétique parce que là, la grande cogne aux portes de l'adolescence pis je tuerais pour qu'elle retourne à l'époque où elle gambadait aux quatre coins de mon 4 ½ avec ses petits poings en l'air en criant : «Po-La-La-Po-La-La-Po!». Au temps où elle voulait bien se bercer avec moi en chantant «La nuit court après le jour... Le jour court après la nuit...». Où je me levais quatre fois par nuit pour la mettre au sein. Où mes règles éducationnelles se résumaient à : «Non! Ne touche pas à ça bébé!»

Où j'étais toute sa vie.

Absent du paysage

Il y a des choses dans notre paysage qui sont là et qu'on ne voit à peu près plus. Par exemple, personne ne passe sur le boulevard de Portland et regarde le Carrefour en disant : «Oh! Wow! Le Carrefour!» On sait qu'il est là. Et on se doute qu'il y restera toujours. Il changera peut-être de look. De grandeur. Mais il sera encore là demain et après-demain.
C'est un peu ce que je faisais avec mon grand-père.
Il est toujours là.
Fort comme un roc.
Avec une santé de fer.
Il est toujours là à faire rire mes poulettes. À nous raconter des anecdotes de son passé qu'on connaît par coeur tant il les a dites et redites.
Mais vendredi dernier, les choses ont changé.
«Ge, Paul vient de faire un infarctus. Il a de grosses difficultés respiratoires. L'ambulance vient juste de partir de chez lui. Maman est là et s'en va à l'hôpital avec Mamie», m'a annoncé sans détour ma soeur, vendredi après-midi.
Ma première réaction? «Ben voyons, c'est impossible. Paul n'est jamais malade!»
Malgré ses 81 ans bien comptés, je n'ai jamais connu mon grand-père avec un nez qui coule, avec un mal de tête ou avec une crampe dans le mollet. Alors, avec une artère de bouchée? Jamais en 100 ans!
pourtant, c'était le cas.
Pendant d'interminables minutes, de longues heures, j'étais scotchtapée à mon téléphone en attente de nouvelles fraîches. À espérer un dénouement heureux.
Pour m'occuper les dix doigts, j'ai fait la téléphoniste diseuse de mauvaises nouvelles. Ma marraine, ma cousine, ma grand-tante, j'ai les appelées pour les informer de la situation. Après avoir fait ma sale job, j'ai écouté, rassuré, consolé mon monde.
N'en pouvant plus d'attendre, j'ai rejoint à nouveau ma mère. «Pis, pis, pis?»
«Il est parti en hémodynamie. C'est quoi ça de 'l'hémodynamie'?»
Je cours à mon ordi, fais une recherche sur le net (Vive Google! Vive Wiki!), lui transmets les informations demandées.
Je raccroche. Refais la chaîne téléphonique : ma soeur, ma marraine, ma cousine, ma grand-tante.
«Est-ce qu'on meurt d'un infarctus?» me demande ma cousine. Je retourne sur l'ordi, recherche sur Google, sur Wikipedia, tente de faire un cours de cardiologie vasculaire avancé en trois minutes top chrono. Rappelle ma cousine. Lui explique ce que j'en comprends. Nous sommes -un peu - rassurées.
On organise les prochaines heures. La famille montréalaise descend. Je m'offre pour garder les bébés. Ma cousine restera chez ma grand-mère pour la soutenir.
Merde! Max! Dans tout ce brouhaha, j'ai oublié ma fille. Je dois aller la reconduire à son camp scout qui débute le soir même et qui a lieu à La Patrie, autant dire à l'autre bout du monde dans de telles circonstances.
«Voyons chérie, je vais aller la reconduire moi!» me dit l'amoureux alors qu'il s'affairait à préparer le souper.
Le téléphone sonne. Chaque fois que l'engin montre signe de vie, mon coeur arrête de battre. Si une mauvaise nouvelle était sur le point de parvenir à mes oreilles?
C'est ma mère. Ma main tremble. Je suis livide. «Oui...?»
«Bon, Paul vient d'arriver aux soins intensifs. Ils lui ont débloqué son artère et tout va pour le mieux. On aura eu plus de peur que de mal. Il devrait sortir de l'hôpital dans quelques jours.»
Mon grand-père aura été chanceux dans sa malchance.
Et ce petit accident nous aura fait prendre conscience que même si on ne la voyait plus, notre famille possède une solidarité peu commune. Que même si mon grand-père fait partie de notre paysage depuis toujours, peut-être un jour il n'en sera plus ainsi...
Alors cet après-midi, quand je passerai sur le boulevard de Portland, je m'exclamerai en disant : «Qu'il est magnifique ce centre commercial!»