30 juillet 2008

Une histoire de confiance

C’est une histoire de confiance.
Pas grand-chose d’autre à expliquer ou à analyser.
De la confiance, c’est tout. Rien de plus.
Le week-end dernier, j’ai amené mes poules faire de l’équitation. Depuis longtemps, j’avais cette envie de surmonter ma crainte, pour ne pas dire ma peur bleue, des chevaux. Il était hors de question de transmettre cette frayeur à mes puces.
Alors, c’est armées de tout notre courage que nous nous sommes pointées à l’écurie. Dès notre arrivée, Filou est immédiatement attirée vers l’un des 16 chevaux de l’endroit. Elle le flatte et lui parle. Elle a même l’idée de lui donner de la paille à manger. Le proprio lui donne une brosse et elle s’active agilement sur le flan de Ayla.
Moi? Je suis encore dehors. Je regarde de loin. Je fais un sourire timide à Filou. « Pourquoi restes-tu dehors maman? » « Des allergies cocotte », que je lui sers comme excuse…
Il faut que je me parle. Très fort. J’ai envie d’aller la chercher et de l’amener près de moi. J’ai l’impression qu’elle n’est pas en sécurité à côté de cette grosse bête et que je fais défaut à mes responsabilités de mère. Avec ses 32 livres lorsqu’elle est mouillée, ma fille pourrait être réduire en miettes par Ayla dans le temps de le dire. Les pires scénarios défilent dans ma tête. « Tu fais attention hein loulou? », lui ai-je dit d’une voix pas très rassurée.
Elle trippe la cocotte. Elle rigole. Elle écoute avec une attention déconcertante les directives de Guylaine, la compagne du propriétaire de l’endroit, sur la façon de brosser le cheval. Elle l’aide à attacher les sangles de la selle. À s’assurer que tout est ordre pour notre initiation à l’équitation. Filou s’était fait un nouvel ami.
Mais le pire est arrivé quand elle est montée sur le dos d’Ayla. « Es-tu correcte cocotte? » En lui posant la question, je regarde Guylaine avec des yeux paniqués qui disent : « Arrange-toi pour que rien ne lui arrive… »
À plusieurs reprises, je voudrais courir vers ma fille pour la descendre du cheval et me sauver dans un endroit où notre sécurité ne serait pas compromise. J’imagine la bête partir au galop, catapultant du même coup ma petite cavalière par terre. J’ai peur qu’elle fasse un faux mouvement et qu’elle se coince les pieds dans les étriers. Je vous dis, une vraie folle.
Le proprio commence à lui expliquer comment conduire son cheval. « L’important, c’est de démontrer à Ayla que c’est toi le boss. Qu’il peut avoir confiance en toi. Que tu es là pour le protéger quoi qu’il arrive. Alors c’est à toi de lui dire où aller et quoi faire. Si tu as peur, il le sentira et fera n’importe quoi. »
Ce n’est pas entré dans l’oreille d’une sourde. Armée de toute la détermination du monde, Félixe est partie avec Ayla à la conquête de la confiance en soi.
Je suivais pas loin derrière avec Nebraska. Insécure, angoissée, anxieuse. Mon cheval allait à droite quand je voulais qu’il aille à gauche. Il s’arrêtait quand je voulais qu’il avance. Ma conduite chevaline, c’était n’importe quoi parce que ma confiance, c’était n’importe quoi.
Filou? Une championne. Elle guidait son cheval comme si ça faisait 20 ans qu’elle faisait ça. Les deux doigts dans le nez.
La cocotte ne voyait pas que le cheval était 20 fois plus gros qu’elle. Elle ne s’imaginait pas 52 000 scénarios apocalyptiques.
Elle avait confiance. En son cheval certes, mais surtout en elle. Félixe croyait fermement en ses capacités.
Ma puce m’a appris beaucoup ce week-end. Beaucoup.

22 juillet 2008

Enfin les vacances de la construction?

Je les attendais depuis tellement longtemps.
Je comptais même les dodos comme une petite fille à l’approche de Noël.
Les dates étaient encerclées en rose fluo dans mon agenda.
Je faisais des projets de grasses matinées. J’avais des idées de soupers tranquilles. De lunchs pris paisiblement sur le balcon. Je mourais d’envie de jouer dans le jardin au son des oiseaux. D’admirer le coucher du soleil sans que ma vue ne soit dérangée.
Toutes des choses qui m’étaient impossibles jusqu’à présent.
Pourquoi?Parce que, voyez-vous, je vis dans un interminable chantier de construction. Depuis octobre dernier qu’on l’on dynamite sous ma fenêtre de chambre, que des pelles mécaniques obstruent la vue de ma porte de salon, que des dizaines de camions lourds font la file devant ma cuisine pour ramasser des voyages et des voyages de terre et de pierres.
Et vous le devinez, le tout ne s’effectue pas dans le même silence que l’on retrouve dans une bibliothèque ou dans un monastère… Par moments, je suis certaine que c’est plus tranquille à Kaboul. L’enfer je vous dis.
La bonne nouvelle, s’il faut en chercher une, c’est que depuis l’automne, je n’ai pas eu à régler le réveil-matin. Les travailleurs de la construction se chargeaient de me lever du lit parfois aussi tôt qu’à 6 h 15 (note à moi-même : vérifier avec la Ville la réglementation municipale concernant le bruit matinal).
Va pour le matin, mais quand je rentre du bureau le soir et que je vois encore ces foutus marteaux-piqueurs en action, j’avoue que mon impatience (et que dire de mon agressivité?) monte d’un cran. (Note à moi-même : penser à me procurer des bouchons d’oreilles pour amoindrir les impacts de ce vacarme sur ma vie familiale.)
Ajoutez à cela la télé que les filles écoutent, le bruit du lave-vaisselle, le chien qui jappe, le téléphone qui sonne, le MSN qui buzz, la hotte de ventilation du four, ne vous demandez pas comment je ne suis pas encore virée folle…
Vous comprenez maintenant pourquoi j’attendais avec une impatience démesurée ces fameuses vacances de la construction où seraient rangés pour deux semaines marteaux, scies radiales et bâtons de dynamite.
Ce grand jour est enfin arrivé samedi dernier. J’avais débranché le téléphone. Envoyé le chien chez ma sœur. Fermé l’ordi. Tout ce qui était prévu à mon agenda, c’était de vivre dans le silence. De me réveiller par moi-même. Écouter mes plants de tomates pousser. Tenter de différencier les espèces d’oiseaux qui vivent près de chez moi, non pas par leur plumage, mais par leur chant.
Si le temps me le permettait, je me promettais un grand bain où le seul bruit que j’entendrais serait celui des pages de mon livre que je vais tourner. En soirée, je pourrais me permettre de prendre un verre de vin sur la pelouse en admirant le ciel étoilé.
Je voulais faire une cure intensive de silence avant que mes oreilles se syndiquent pour utilisation abusive. Fallait que je mette mes tympans au repos au plus vite. J’avais même l’impression que mes marteaux et mes tambours avaient un projet caché de retraite. Fallait agir et vite.
Ce samedi, donc, je me réveille non pas à 11 h. Pas même à 10 h. Non, non. À 7 h 15, mes yeux étaient grands ouverts.
Ce n’est pas le bruit d’un dynamitage qui m’a réveillée. Ce n’est pas celui d’un marteau-piqueur non plus. De ce côté, tout allait.
C’est le bruit qu’il y a dans la maison quand mes poules sont absentes. Vous savez, ce son de solitude.
Dans la planification de cette journée de rêve, j’avais oublié un léger détail. Les vacances de la construction coïncident avec les deux semaines où mes héritières désertent le nid familial pour migrer chez papa.
Puis-je vous dire comment j’ai hâte de revoir un marteau-piqueur se faire aller dans ma fenêtre de salon?

15 juillet 2008

J'ai la meilleure fille au monde

En tout cas, ce n’est pas pour vous écœurer, mais j’ai la meilleure fille au monde moi.
Oui, oui. Je vous raconte.
Hier après-midi, le téléphone sonne au bureau. C’est mon aînée qui venait d’arriver du camp de jour. « Salut ma maman d’amour! Est-ce que tu vas bien? »
Bon, ça y’est. Que veut-elle me demander? C’est bien connu. J’ai affaire ici à une tactique vieille de l’époque de Mathusalem. Elle prend une voix mielleuse pour demander une faveur à sa mère.
Je le sais, je faisais pareil. Combien de fois ai-je dit à la mienne qu’elle était la meilleure mère au monde pour ensuite lui demander d’aller passer mon vendredi soir à la danse du Trio? Ou encore pour aller dormir chez Catherine.
Et sans gêne aucune, elle renchérit : « As-tu eu une grosse journée? Est-ce que tu es fatiguée? »
Ouin. Je suis mieux de me préparer une flopée d’arguments. Parce que ce que ma grande veut me demander doit être terrible pour qu’elle soit licheuse comme ça.
« Ça va Max. C’est juillet tu sais, et en juillet la terre cesse de tourner. Donc, pas de téléphone, de courriel, de fax, de conférences de presse, de réunion. C’est mort. Alors, je ne peux pas dire que je suis fatiguée, au contraire! »
Au moment même où j’imagine qu’elle me suppliera de la laisser aller prendre un verre dans un bar (je vous rappelle qu’elle a dix ans…), elle me dit : « J’imagine que ça ne te tente pas de faire le souper hein? »
Ah c’est ça! Elle veut que je ramasse du McDo ou du Saint-Hubert pour notre repas. Je ne suis pas née de la dernière pluie ma grande, ai-je pensé. Le frigo est plein et pas question de manger du resto ce soir.
Alors je lui réponds : « Ça ne me dérange pas ma cocotte de cuisiner. Il y a plein de trucs à manger dans le garde-manger. Que dirais-tu de manger un filet de porc aux pommes ou des côtes levées. Ah oui! Des côtes levées sur le BBQ, ça me tente. Je pourrais faire une bonne salade avec ça. »
« Ahhhh…, laisse-t-elle tomber quelque peu débinée. Dans combien de temps arrives-tu? »
« Bah… il me reste un article à terminer d’écrire. Dans 45 minutes, je dirais. Ça te va? »
Avant même que je termine ma phrase, elle avait raccroché. Étrange tout de même cette conversation. Je n’avais pas su ce qu’elle voulait finalement. Ce qui m’avait valu toutes ces belles paroles.
Une heure pile poil plus tard, je franchis le pas de la porte. Ça sent bon dans la maison. On dirait que quelqu’un a cuisiné. J’étais en train d’enlever mes chaussures quand Max est arrivée en courant vers l’entrée.
« Vite, vite, Maman! Ton souper est prêt! »
Hein?
La panique s’est emparée de moi. J’imaginais ma grande se battre avec une friteuse en feu. J’espérais qu’elle ne s’était pas électrocutée avec le four. Et si elle avait cassé une douzaine d’œufs sur la céramique de la cuisine? Pis j’ai prié tous les dieux de toutes les religions afin qu’elle n’ait pas eu l’idée de faire cuire les filets mignons au micro-ondes…
Rien de tout ça n’était arrivé. Heureusement.
La table était impeccablement mise. À ma place, il y avait une assiette dans laquelle on retrouvait un œuf tourné, une toast et une salade (je n’ai pas encore compris ce que les raisins verts faisaient là, mais bon).
Peut-être qu’on ne verra jamais ce repas figurer dans les livres de recettes des plus grands chefs. Mais ce n’est pas tellement grave, parce que pour moi, c’était le meilleur au monde. Un œuf tourné rempli d’amour fait par sa grande adorée, il n’y a personne pour battre ça.

08 juillet 2008

Il y a un an...

Il y a un an, Marie-Chantal avait un bedon tellement gros qu’elle se cognait partout. Sa grenouille s’amusait à cœur joie dans cette belle piscine. Elle donnait des coups dans les côtes de sa maman et, du même coup, l’amenait à la salle de bain quatre fois l’heure. Pas grave, elle avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles en permanence.
Il y a un an, la copine avait bouclé sa valise d’hôpital. Tout y était. Les petits pyjamas à pattes, les cache-couches roses, les compresses d’allaitement, la suce, la petite tuque pour la protéger du froid. Le siège d’auto était bien installé dans la voiture. La dernière couche de peinture avait été donnée dans la chambre du petit trésor.
Il y a un an, Coralie et Félix comptaient les dodos avant l’arrivée de leur nouvelle petite sœur. Des plans de jeux fraternels étaient concoctés. La grande sœur veillerait à bien lui montrer comment prendre soin des poupées. Le grand frère, lui, verrait à lui apprendre comment fonctionne les autos téléguidées.
Il y a un an, la belle piscine de Marie-Chantal a fendu, inondant par le fait même son plancher. Un petit peu avant le temps. Rien d’alarmant. Ça arrive à tous les jours que l’on crève ses eaux avant d’arriver aux 40 semaines réglementaires. Et des bébés prématurés, on en sauve des milliers chaque jour.
Et pourtant, il y a un an, la petite Évangéline, qui s’était fait bercer au chaud par les doux battements cardiaques de Marie-Chantal pendant plus de 27 semaines, a pris un vol direct pour le ciel. Elle est partie sourire avec les anges laissant ses parents complètement démolis.
Depuis un an, il y a eu des hauts et des bas. Beaucoup de bas. De la tristesse. Des questions. Tellement de questions. Des milliers de si. «Si je n’avais pas crevé mes eaux, est-ce que…?» «Si on n’avait fait ma césarienne plus tôt, est-ce que…?» Beaucoup de questions. Aucune réponse, malheureusement.
Depuis, Marie-Chantal regarde souvent le ciel le soir venu. Elle n’y cherche pas vraiment de réponse. Elle ne tente pas d’apprendre le nom de toutes les étoiles de notre système solaire. Elle veut seulement voir une toute petite étoile filante. Pourtant, elle en a vu des centaines dans sa vie. Mais chaque fois qu’elle en voit une, elle arrive toujours au bon moment. À la minute ou elle en a vraiment de besoin.
«Les étoiles filantes, il y en a qui se plaisent à faire un voeu avant qu'elles ne disparaissent. Moi, je les vois comme un signe, un clin d'oeil, une tape dans le dos de l'au-delà. Des fois, j'ai l'impression que c'est ma tante, d'autres fois, que c’est mon grand-père. Mais ce soir, j'ai vraiment eu l'impression que c'était Évangéline que me faisait un petit coucou.»
«Je ne saurai jamais ce qui serait arrivé si les choses s’étaient passées différemment il y a un an, mais, chaque fois que je vois ces petits signes: une étoile filante, un papillon qui se pose sur moi, un regard échangé avec un oiseau, j'ai l'impression qu’Évangéline vient me dire qu'elle est là encore. Et que si notre histoire s'est terminée ainsi, c’est pour le mieux.»
Les beaux yeux verts de Marie-Chantal sont peut-être pleins d’eau quand elle nous raconte cette histoire. Ils le seront probablement encore longtemps quand elle pensera à Évangéline. Pour toujours, peut-être. Elle pleure parce que chaque fois qu’elle voit un de ces signes, la douleur se ravive. Mais ces larmes sont un véritable baume pour son cœur.